Cessons d'être des "Occidentaux" !

 

Entretien (vengeur) de Régis Debray, Le Monde 18/06 :

 

Être un ''Occidental'' en 2014, c'est subir (par exemple) une affiche comme celle-ci, que je viens de lire sur un panneau Decaux à la sortie de ma gare de banlieue française :

RiverCafé, Issy-les-Moulineaux

THE PLACE TO BE CET ÉTÉ

BBQ matin et soir

Le Garden : l'afterwork du lundi au vendredi.

 

Rentré chez moi j'allume mon ordinateur et la page d'accueil de SFR s'adresse à moi en ces termes :

SUMMER CAMP !

Ce slogan obscur ne vise qu'à vendre des e-gadgets supplémentaires... Pas un Français ne saisira l'allusion de pubards (au énième degré) à cette coutume éducative nord-américaine que sont les « summer camps » : mais quelle importance ? Vivons le rêve américain, comme disent nos journalistes.  Nous sommes colonisés mentalement jusqu'à l'os.

 

D'où le plaisir que donne la lecture de l'entretien de Régis Debray, dans Le Monde, sur la notion d'Occident. Brefs extraits :

<< L’Occident, c’est à la fois une zone, une organisation et un projet. La zone correspond à l’espace euro-atlantique, ce « premier monde » jadis nommé par opposition au « second monde », le bloc communiste, et au tiers-monde. [...] L’Occident, c’est en deuxième lieu, une organisation politico-militaire, offensive et expansive, l’OTAN, « l’instrument de l’hégémonie américaine », comme disait de Gaulle. [...] L’Occident, c’est enfin un projet, la volonté de moderniser la planète selon l’acception qu’il donne de la modernité, à savoir un mélange de marché libre, d’hyper-individualisme – l’individu roi, sans tradition ni appartenance, ces boulets aux pieds du consommateur – et de la bonne gouvernance, qui serait l’art de gouverner sans faire de politique, et donc de gérer les pays comme des entreprises. Ce n’est pas un complot mais une utopie, une folie, qui sous-tend l’occidentalisme de nos gouvernants et de nos communicants, si on peut encore les distinguer... >>

<< L'Europe ayant renoncé à définir une personnalité propre et à se fixer des frontières, tant iodéales que spatiales, elle a dû trouver un moyen de se représenter et de se présenter aux autres. N'être qu'un grand marché, ce n'est pas très glorieux. […] Par ailleurs, la France républicaine ayant renoncé à son système de valeurs et à son autonomie diplomatique, elle a réintégré les commandements de l'OTAN, décision anecdotique mais symbolique du président gallo-ricain Sarkozy entérinée par son sosie Hollande. >>

<< L'hégémonie, c'est quand une domination, est rendue non seulement acceptable mais désirable par les dominés. M. Sarkozy était fier d'arborer le tee-shirt NYPD (de la police de New York), et M. Hollande est fier qu'Obama lui mette la main sur l'épaule. >>

 

Cet entretien abonde en traits cruels, notamment contre l'ENA (traitée de moule à gaufres et d'école d'inculture). Il serait d'ailleurs désespérant, s'il ne s'achevait sur un appel au potentiel de la raison et à ''notre part nocturne et romantique'' à la fois : autrement dit, au coeur intact de la personne humaine. Parce qu'il n'y a plus rien à miser sur ce qui nous sert d'institutions politiques !